OGM Sèralini, semeur de doutes

L’EXPRESS
Olivier Le Naire

De plus en plus critiqué pour son étude explosive sur le mais transgénique, le chercheur français a pourtant su se poser, jusqu’à l’étranger, en champion de la sécurité alimentaire. En jouant sur les scandales sanitaires et sur ses puissants réseaux.

Au salon Ille et bio, organisé dans les champs trempés des environs de Rennes, les agriculteurs locaux lui ont déroulé le tapis jaune : une jonchée de paille épandue à la fourche, pour protéger ses chaussures bien cirées. Trainé dans la boue par une bonne partie de la communauté scientifique, ici, au moins, Gilles-Eric Séralini aura évité la gadoue. Depuis le 19 septembre, date à laquelle il a lance sa bombe à fragmentation médiatique en rendant publique une étude concluant à la nocivité des OGM (voir l’encadré page 110), la vie de ce professeur de biologie moléculaire s’est emballée. Ce matin-là, dès 6 h 30, France Info l’a reveille en l’appelant sur son portable. Et ca n’a plus arrété. Il est désormais l’un des chercheurs les plus réclamés – et les plus controversés – en France et dans le monde. « Je m’attendais bien à des remous, mais pas à un tel débordement ! » confesse l’intéressé. Enfant, Gilles-Eric Séralini a vu son frère devenir lourdement handicapé à la suite d’un vaccin mal controlé. Le voilà maintenant chercheur de combat, en guerre contre l’américain Monsanto, leader mondial des OGM. Dans son labo, ce fils d’un ancien radio des services secrets francais, joue méme, à l’occasion, les James Bond, la brioche et la moustache en plus. En 2007, lorsqu’il est parvenu à réunir les 3,2 millions d’euros nécessaires à « la première veritable enquéte pour étudier sur le long terme les effets toxiques d’un OGM », Séralini a en effet decide de travailler dans le plus grand secret. « Ceux qui ont osé s’attaquer au lobby agroalimentaire l’ont payé cher, se justifiet-il. On leur a pourri leur carrière et leur reputation. » Logique puisque, à l’en croire, les OGM seront bientót « le premier business du monde ». Explication : « Il existe 30 000 espèces de plantes comestibles, mais 4 représentent 60 % de la consommation planétaire. Si vous controllez leur production, vous récoltez des milliards. « En se battant contre les « agents de Monsanto », qui auraient « infiltré » les hautes spheres scientifiques, Séralini ne doute pas qu’il travaille dans le bon camp. « On sait lutter contre les microbes, mais pas contre les polluants comme les PCB, les OGM ou le bisphénol A. Or, en l’absence de réglementation, ils sont responsables de millions de morts. Je milite pour la vie, pas pour un parti! » Le discours fait mouche, méme si la plupart des academies savantes nationales ont contesté son etude. Au restaurant, dans les taxis, voire dans la rue, Gilles-Eric Séralini, passé sur tous les plateaux de télé, est encourage à poursuivre son combat contre les lobbys. « Les scientifiques vous attaquent, mais on sait bien que les multinationales les arrosent et qu’ils se fichent pas mal qu’on attrape le cancer! » lui lance un serveurde café. C’est tout le « paradoxe Séralini ». Plus les savants des villes lui torn-bent dessus et plus ce Zorro des champs est populaire. Trop? Ministres et deputes n’ont pas mis long-temps à mesurer toutes les consequences de sa botte secrete. Après les scandales de la vache folle, du virus H1N1 ou du Mediator, impossible pour eux de faire de Séralini un martyr. D’autant que son etude pose de vraies questions sur les dysfonctionnements de la recherche et la gestion de la santé publique. Du coup, méme si le cherscheur a refusé de repondre sur le found au critiques emises sur ses travaux par l’Autorité europeenne de securité des aliments (Efsa), les deputes se sont empresses d’auditionner le sulfureux professeur. Et d’appeler à la « transparence du débat public ». A l’étranger aussi, on s’intéresse de près à ce petit-Francais-qui défie-les-puissants. En Californie, où aura lieu le 6 novembre un referendum sur l’étiquetage des OGM, journalistes et écolos s’arrachent le bon homme pour contrer Monsanto, qui finance à coups de millions la campagne pour le non. Méme chose du coté des Chinois, qui voient d’un mauvais oeil l’expansion du géant. En Russie, les autorités sont allées jusqu’à suspendre la commercialisation du mais incriminé par le biologiste, avant d’en savoir plus. David contre Goliath? Méme Séralini refuse ce cliché. Car les anti-OGM ne sont pas nés de la derrière pluie acide. Soutenu financièrement par la grande distribution – notamment Carrefour et Auchan, qui aimeraient se faire avec lui une virginité bio -, Séralini s’est aussi constitué un réseau politique qui le protege. Et l’encourage. De Dominique Voynet et une partie du PS a Nathalie Kosciusko-Morizet – elle l’a decore de l’ordre du Mérite en 2008 -, en passant par Chantal Jouanno ou le sénateur (UMP) Francois Grosdidier, lequel a participé, sur sa reserve parlementaire, au financement de ses travaux.  Sans parler de l’ancienne ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, avocate internationale, avec laquelle Séralini a fondé le Criigen, une puissante association spécialisée dans revaluation des risques du genie génétique et… commanditaire de l’étude. Sur le plan scientifique, beaucoup reprochent aussi au chercheur d’« avoir utilise les mémes méthodes opaques que ses adversaires ». La manière dont a été orchestré le lancement de son livre – Tous cobayes! (Flammarion) – où seuls les médias amis ont été conviés avant méme que la publication scientifique soit parue, prouve que l’art de la manipulation n’est pas l’apanage du seul Monsanto. Ce que ne manquent pas de souligner, à l’université de Caen, certain collègues de Gilles-Eric Séralini, confrontés, eux, à la grande misère de la recherche française, et qui n’en peuvent plus de voir defiler les cameras. La rançon du scandale.